L'artiste brodeuse : Paola Rodriguez Arias
Originaire de Bogotá et installée à Genève, Paola Rodriguez brode des toiles aux mille matières. Après des études de haute joaillerie et une carrière dans la mode, l’artiste s’est libérée des contraintes de la production en série pour se consacrer à des œuvres uniques. Une façon pour elle de renouer avec l’authenticité de l’artisanat colombien qu’elle a admiré durant son enfance.
Le rythme, la texture et l’attention portée aux détails animent Paola Rodriguez depuis sa naissance. Son enfance en Colombie laisse sur elle l’empreinte du fait-main, le pays ayant toujours célébré le savoir-faire des tribus natives. Chapeaux en fibre de canne, sacs en coton tressé, ponchos en laine et vaisselle tissée s’exposent ainsi chaque année à la foire Corferias de Bogotá sous ses yeux ébahis. Fille d’une décoratrice d’intérieur et d’un architecte, la créatrice a toujours été au contact des travaux manuels. À 18 ans, elle déménage à Rome pour intégrer l’Accademia Costume & Moda. En se spécialisant dans la haute joaillerie et les accessoires, elle découvre un monde où l’infiniment petit prend toute son importance. “J’aimais concevoir des modèles en papier mâché pour m’aider à visualiser l’objet fini. Ça a suscité chez moi une passion pour les pièces uniques”, se souvient-elle. Une fois diplômée, Paola lance brièvement son studio de bijoux en Colombie avant d’aller étudier la céramique à l’école Centrale Saint Martins à Londres. Commence alors une carrière dans la mode qui durera onze ans.
Peu à peu, Paola voit néanmoins naître une certaine frustration dans sa pratique : “Je ressentais une rupture entre le travail de designer et celui de couturier. J’imaginais les vêtements mais quelqu’un d’autre les fabriquait.” La course à la production et le rythme contraignant des collections l’amènent à repenser son activité. Elle s’installe à Genève avec sa famille et dessine une collection capsule, plus durable, avec des pièces uniques. Fabriquer une veste lui demande cependant un temps colossal et, puisque le vêtement est fait à la main, il lui est difficile de se positionner auprès des boutiques. En 2019, elle prend le temps de la réflexion : “Je voulais vraiment créer des pièces avec lesquelles je serais en phase, honorer mes traditions.” L’ensemble de son parcours semble mener à ce moment clé. Des vêtements qu’elle a imaginés, il reste une montagne de chutes de tissu et, depuis toujours, elle garde précieusement dans une boîte les broderies qu’elle a conçues. Dans son studio genevois au décor minimaliste, elle se met alors à dessiner, peindre et intègre à ses toiles des éléments brodés aux couleurs douces. Une révélation qui balaie instantanément ses doutes. “Je relie enfin art et artisanat : du croquis à la touche finale, je travaille avec mes mains sur des ouvrages en trois dimensions.” Comme son modèle, la plasticienne colombienne Olga de Amaral, Paola met en lumière les traditions artisanales de son pays et a recours à toutes sortes de matériaux. Pour créer, elle esquisse d’abord un dessin à l’aquarelle ou à l’encre, inspirée par un objet, un rituel ancestral, une pose ou un détail. Elle décide ensuite si sa composition sera “serrée” – à base de fil – ou “relâchée” – à base de broderie ou de peinture. “Je me laisse guider par la matière : le fil se comporte d’une certaine façon et, selon l’angle sous lequel on le regarde, il se transforme, comme s’il était en mouvement.”
Toujours nourrie de nouvelles idées, l’artiste, quand elle œuvre sur un grand tableau pendant des semaines, mène en parallèle des petits travaux de broderie qui lui demandent moins de temps. La sérendipité joue un grand rôle dans son art. Un jour, par exemple, en parcourant ses archives, elle est tombée sur des symboles de mains découpées dans un tissu à carreaux. Le motif exact de l’une des blouses de son ancienne collection. “J’ai alors rembourré les mains avec de la balle d’épeautre pour ajouter du volume et je les ai cousues à la blouse.” Tout semble couler de source dans l’univers de Paola, qui assure pourtant ne jamais être pleinement satisfaite : “Je vois toujours ce qu’il manque à une pièce finie et je l’ajoute à la suivante… qui manque encore de quelque chose.” Dans les mois à venir, elle compte se diriger vers des créations moins figuratives et rêve de collaborer avec d’autres artistes. Par superstition, elle préfère ne rien dévoiler de ses futurs projets mais il est certain que les œuvres protéiformes de Paola ne resteront pas longtemps sous les radars.
Texte : Hélène Rocco – Photos : Aurélien Bergot