L'appartement atelier de la peintre Alexandra Roussopoulos


Artiste peintre, Alexandra Roussopoulos nous accueille dans son appartement et atelier situé à Paris. Une plongée dans son univers sensible à la quête de la lumière et de la couleur.

Quel est votre parcours ? 
J’ai toujours été sensible à la lumière et aux couleurs. Enfant, je voulais être peintre et bergère. Dans le fond, j’ai grandi dans le désir de devenir artiste, d’autant que mes parents cultivaient une relation privilégiée avec le monde sensible. Mon père était physicien et peintre, et ma mère réalisatrice, féministe et pionnière de la vidéo. Après mon baccalauréat, j’ai décidé de partir à Londres étudier l’art. À l’époque, cela représentait une véritable aventure, car les déplacements internationaux étaient moins courants que maintenant. Ce départ a été déterminant pour moi, car c’est là-bas que j’ai véritablement découvert la peinture et un monde qui m’était propre, ainsi qu’une certaine forme de liberté. J’ai poursuivi ensuite mes études aux Beaux-Arts de Paris mais j’ai eu du mal à m’adapter, la structure de l’enseignement par ateliers fermés ne me convenant pas du tout. J’ai eu des enfants très tôt. Je me suis construite en tant qu’artiste en même temps que mes deux filles grandissaient. Aujourd’hui, elles sont elles-mêmes réalisatrice et artiste ; ce sont pour moi de véritables interlocutrices. L’art occupe une place primordiale dans ma vie; tous les jours je peins, je prends des notes sur de futurs projets, je dessine. 

Qu’est-ce que pour vous la création ? 
La création est un état dans lequel je me plonge. Je crois que chacun d’entre nous porte un potentiel créatif en lui, mais malheureusement, on le met souvent de côté. Pourtant, je suis convaincue que c’est à la fois bénéfique pour soi-même, pour les autres et pour la société dans son ensemble. 

Quel est votre processus de création ?
Je travaille sur plusieurs supports, je cherche toutes les possibilités qu’offre la peinture, car pour moi tout part de la peinture, de cette quête de la lumière et de la couleur. J’interroge constamment l’espace qui m’entoure. Par exemple, lors de mon séjour en Chine, l’espace pensé autrement et la lumière si particulière ont eu un impact immense sur mon travail. Ces expériences ressurgissent dans mes peintures. Je m’imprègne de tout ce qui m’entoure. Mes peintures sont toujours en lien avec ce que je traverse, tant sur le plan psychique que physique. Mes œuvres peuvent d’ailleurs s’inspirer de paysages réels, comme être  beaucoup plus abstraites. Pour la Craft Gallery, nous avons choisi une série somme toute assez graphique dans laquelle j’ai créé des espaces prismatiques où les couleurs se répondent et se déploient, créant ainsi un mouvement et univers en constante expansion. Toutes ces approches, je les explore simultanément. Ce n’est pas une question de période, ces axes se développent constamment et parallèlement. 

Quels sont les thèmes que vous abordez dans votre démarche créative ?
Mon travail est centré sur la couleur. Pour moi, la couleur est absolument fascinante et elle est intimement liée à la lumière. J’utilise une gamme de couleurs qui m’est propre, en effectuant de nombreux mélanges. J’aime travailler les couleurs, les atténuer, créer des dégradés et jouer avec les transitions d’une teinte à l’autre. À travers ce processus c’est une certaine émotion qui est recherchée, un état de grâce qui vous remplit soudain. C’est une exploration.

Sur quoi planchez-vous en ce moment  ? 
J’ai présenté dernièrement une série de dessins aux Forges à Luma lors du Festival du Dessin à Arles. Ce sont de grandes pièces qui ressemblent à des aquarelles et qui représentent des paysages que j’ai traversés, comme des calques de souvenirs superposés les uns sur les autres. Ces dessins, des paysages marins, ont quelque chose de familier ; tout le monde semble les reconnaître et, en même temps, ils ne ressemblent à rien en particulier : ce sont des paysages imaginaires. Cette série s’intitule Tumultes, car je l’ai réalisée à une période de ma vie assez tumultueuse. La création de ces dessins m’a demandé énormément de temps. C’était un travail absorbant dans lequel je me suis totalement immergée, mais qui m’a aussi apporté un grand équilibre et une certaine sérénité. Je les ai réalisés aux crayons de couleurs et mines de plomb sur un papier de riz que j’avais marouflé au préalable sur de la gouache. La peinture reste ainsi toujours présente dans mon processus artistique. Je m’appuie d’abord sur la peinture avant de travailler avec un autre médium. 

Quelles sont vos sources d’inspiration  ?
Je pense que les rencontres que j’ai faites lorsque j’étais jeune restent des références extrêmement importantes pour moi. C’est pendant notre jeunesse que se construit notre identité artistique. Georgia O’Keeffe, qui était déjà célèbre en Angleterre mais peu connue en France à l’époque, m’a profondément impressionnée lorsque j’avais 18 ans. Cette artiste dégage une énergie incroyable et elle parvient à attirer notre attention sur ce qui pourrait sembler être des détails. Frank Auerbach, sculpte avec la peinture. Sa matière épaisse mais travaillée avec beaucoup de finesse offre une grande sensualité à ses paysages et ses portraits. Et bien sûr, il y a William Turner, dont la façon de capturer la lumière m’a profondément marquée. À l’époque, je me rendais très souvent à la Tate Modern à Londres. Il y a quelque chose de très contemporain dans sa manière de capter la lumière et de créer un paysage avec seulement quelques touches de couleur.


Pouvez-vous revenir sur votre sélection pour la Craft Gallery  ? 
Cette sélection d’œuvres se prête particulièrement bien à la reproduction, les couleurs sont photogéniques, il y avait quelque chose d’évident dans ce choix. J’aime créer un espace en jouant avec les couleurs, que j’ajoute les unes après les autres. Il y a des moments où tout semble s’effondrer, puis une nouvelle couleur vient rétablir l’harmonie. Je poursuis cette recherche jusqu’au moment où j’atteins un équilibre qui reste instable, et c’est cela qui m’intéresse. Je dois dire que j’étais fascinée de voir comment ces œuvres ont pris vie dans la Craft Gallery. J’ai également été frappée par la qualité du papier. La façon qu’a la couleur de rencontrer le papier est une question passionnante. J’explore cette interaction, cette alchimie entre le support et la matière colorée. C’est un aspect de mon travail que je trouve particulièrement intéressant et qui contribue à la création d’une expérience visuelle unique.

Quelles sont vos autres activités ? 
Pendant longtemps, j’ai enseigné dans différents contextes, des écoles d’art, des écoles maternelle et primaire, avec des personnes en situation de précarité ou de handicap… Aujourd’hui, je travaille de façon plus ponctuelle et avec moins de contraintes autour de projets de partage et de transmission de l’art. Cela m’offre plus d’autonomie, de liberté et de temps pour peindre. Par exemple j’ai récemment terminé un projet « La Vie des Choses » avec de jeunes collégiens de classe de SEGPA (Section d’enseignement général et professionnel adapté) à Bobigny, en collaboration avec l’association d’art contemporain Orange Rouge. Ils créent et organisent des rencontres entre un artiste et une classe qui travaillent ensemble tout au long de l’année. Cette rencontre a été extrêmement fructueuse. Un autre projet vient de débuter dans un hôpital psychiatrique à Paris, une initiative qui me tient particulièrement à cœur. Je crois fermement à l’impact que l’art peut avoir sur la vie des individus. C’est un domaine qui est souvent sous-estimé, mais je suis convaincue de son énorme potentiel. Tous ces projets mêlent l’art et la vie d’une manière intime et profonde.


Quelles sont vos envies pour le futur ? 
J’ai toujours eu le désir de réfléchir à des questions qui sont au coeur de ma pratique artistique. Comment partager, comment collectiviser, comment transmettre ? Ces interrogations me guident et m’incitent à envisager la création d’une association avec des personnes issues de différents milieux. Je suis convaincue que nous pouvons avoir un impact sur le monde, même à une échelle modeste, en réalisant des projets passionnants. Il est nécessaire d’être solidaire pour être efficace. Cependant, je suis consciente que les projets collectifs ne sont pas toujours simples. Ils n’ont de sens pour moi que si on collabore avec des personnes issues de milieux différents, qui ne partagent pas nécessairement le même monde que le sien. C’est important de favoriser les rencontres et les échanges entre des mondes qui ne se rencontrent pas souvent.


Votre prochaine destination ? 
Je pars un mois en Grèce, un moment hors du temps après une année très dense. Je vais peindre dans le jardin, lire et nager. Je serai près de la mer qui m’a manquée.


Par Emma Olivier / Photos : Charlotte Heulland

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