Rencontre Kethevane Cellard

Rencontrer Kethevane Cellard c’est pénétrer un univers peuplé de figures impossibles et de formes flottantes. Son travail, qui navigue entre dessins à l’encre et sculptures en bois, donne corps à des œuvres aux singuliers volumes, tantôt esquissés sur papier, tantôt érigés en objets. Hybrides, organiques, sculpturales, difficilement situables dans l’espace ou le temps, ses créations sont le fruit de sensations mentales qu’elle traduit dans un imaginaire de formes en quête de vibration.

Ancienne élève de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris, Kethevane affine sa passion pour la lettre à l’Atelier National de Recherche Typographique. Et puis, après quinze années de graphisme et une pratique de la peinture dans laquelle elle ne trouve pas vraiment ce qu’elle cherche, elle aspire à autre chose. La sculpture va lui ouvrir un nouveau champs des possibles. En 2016, elle se découvre une fascination pour des cuillères et objets d’antiquités en bois, jusqu’à l’obsession qui la pousse à acheter ses premières gouges et à s’essayer à la pratique, qu’elle appréhende en parfaite autodidacte. « Je dessine depuis toujours. Mais sculpter le bois a déclenché en moi un imaginaire de formes que je n’avais pas avant et qui contre toute attente, sans aucune intention, à impacter ma pratique du dessin. »
Arrivent alors sur le papier les esquissent des ses premiers objets-figures qu’elle expérimente, explore, apprivoise. Des objets qui n’en sont pas tout à fait, des figures qui n’en sont pas à proprement parlé non plus, mais dont il émane « une sensation d’incarnation » comme elle le définit, qui rappellent une présence humaine, ou animale, voir végétale. Ses dessins ambigus esquissent ainsi de façon abstraite les contours d’objets simples, aux détails subtilement reconnaissables. Imaginant ici les lignes d’un animal des profondeurs, évoquant là la forme d’un cœur, devinant là-bas les contours d’un champignon, d’une noisette, ou d’une amphore, sont trait singulier fait naitre une galaxie d’éléments fascinants qu’il convient à tout un chacun de découvrir et ressentir.

Sensations mentales
Dans sa pratique Kethevane affirme pourtant ne jamais partir trop visiblement de quelque chose d’existant, au risque de perdre en complexité et en richesse de formes. « Quand je dessine je pars d’une sensation. Très souvent je lis quelque chose ou j’écoute un texte, un podcast, et cela déclenche une image, parfois de façon très nette, et parfois plutôt comme disait Picasso une vague idée, que je vais développer en faisant des croquis, puis en choisissant celui qui me semble le plus évocateur pour capturer cette sensation. » Ce n’est qu’après cette phase d’esquisses préparatoires que Kethevane décide si elle façonnera un dessin ou une sculpture. « Généralement quelque soit la pratique j’ai un dessin très précis, je sais où je vais, il n’y a pas vraiment d’improvisation. Ca fait partie du plaisir que j’ai à faire ça, le côté méditatif. Je crée une surface de lumière, et dans la sculpture comme dans le dessin, je vais chercher ce moment où la lumière accroche le trait, accroche la matière, et que se forme un espèce d’effet de vibration, oui je crois que cela capte assez bien ce que je cherche, une vibration, quelque chose de vivant, d’animée, d’une certaine façon. »
En sources d’inspiration Kethevane cite Eduardo Chillida, Louise Bourgeois, Anna Mendieta, Isamu Nogichi, Alma Allen, Brancusi, ainsi que l’art paléolithique et les arts premiers, mais également le domaines des sciences, la philosophie, et les grands thèmes de société dont elle se nourrit au quotidien et qui font partie intégrante de son processus créatif.

Eloge de la lenteur
Ses dessins, réalisés à la plume de calligraphie, arborent des textures proches de la gravure. « Je travaille avec 5 ou 6 stylos qui ont chacun une épaisseur de trait et un flux d’encre différent. Je pars du petit croquis, je l’agrandis au carreau, je trace le contour au crayon et puis après les zones les plus sombres que je définis avec de grosses hachures pour faire monter les noirs et ensuite je commence à faire des petits tortillons ». Ses œuvres sont le fruit d’un travail au long court, un dessin de Kethevane requiert des centaines d’heures de travail. « C’est vraiment le cœur de mon processus, la lenteur, le plaisir de faire lentement et bien, de prendre son temps et surtout retrouver le plaisir de faire des choses qui ont du sens pour moi ».
Si cela fait 40 ans que Kethevane avoue pratiquer le dessin, ce n’est que depuis 4-5 ans qu’elle « muscle » son travail du volume. Ces pièces arborent tantôt des formes minimales mises en beauté par les essences de bois utilisées, du noyer américain, du ziricote…, tantôt des pièces plus graphiques dont l’usage de la gouge vient dessiner des motifs aux vibrations proches de celles de ses dessins. « Mes formes sont beaucoup moins complexes en sculpture. Mais ça commence à venir, je vois que je suis en train de complexifier mon module 3D interne avec le besoin de faire et rajouter des choses en argile par exemple que je commence à travailler. Je réfléchis, j’ai envie que ça s’enrichisse qu’il y ait plus de contraste à l’intérieur des pièces ». Une œuvre artistique aussi vivante que vibrante.

Retrouvez toutes les œuvres de Kethevane sur la Craft Gallery.

Texte : Laurine Abrieu – Photos : Ludovic Balay – Style : Adel Fecih


 
Précédent
Précédent

Laurent Nicolas, artiste sculpteur